Jour 54 : Le bourdonnement des mouches

L’appartement est plongé dans le noir. Sur trois murs, les fenêtres font pénétrer l’extérieur. Il en résulte une légère impression de vertige, de plus en plus aiguë au fur et à mesure qu’on se rapproche du balcon, bien entendu. Dans tout cet espace, toute cette noirceur, deux écrans d’ordinateurs projettent une lumière stroboscopique dans un coin de mur. Sur un écran joue l’épisode 3 de la première saison de Twin Peaks. L’agent Dale Cooper rêve pour la première fois du rideau rouge, du nain qui parle à l’envers et de la phrase : « Fire, walk with me. » Toujours aussi troublant.

À côté de moi, la fraîcheur de la ruelle via le petit balcon. Devant moi, la falaise, le ciel, le port, le fleuve, l’horizon. Dans le couloir, les mouches vrombissent nuit et jour, plus moyen de ne plus les entendre. Je fais semblant de les ignorer. Je me convaincs que leur régularité crée un bruit blanc qui favorise la concentration. Je n’ai plus aucune concentration depuis longtemps. Devant mes yeux, un filtre blanc efface toute tentative d’additionner deux et deux. Je nage dans la panique la plus totale dans un silence aphone. Je crie en sourdine et au ralenti. Au premier abord, ça ne se voit pas.

J’évite le sujet qui me brûle le visage, la mémoire, les tripes. Le plus petit clin d’oeil me rappelle automatiquement les événements de cette fois-là. Je me remémore la violence des coups qui se sont abattus sur eux, je me souviens du sang qui se précipitait hors de leurs corps sublimes, je me souviens de mes cris, de mes larmes et finalement du silence consternant qui a suivi, je réentends les cris poussés, mais trop tard, trop tard, le bruit que font les blessures et les corps – qui ne sont plus que cela, justement, quelques minutes avant la mort et déjà dépouillés de leur humanité. C’est avec ça que je m’endors tous les soirs.

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