Jour 55 : Vingt-neuf questions anxieuses

… un monde où chaque phrase écrite serait en elle-même un chef-d’oeuvre. Sans nécessité aucune de la relire, d’y porter une attention quelconque après l’avoir écrite. Sans faute. Sans cacophonie. Sans accroc. Le son, le souffle et le sens en complète harmonie. Chaque phrase, parfaite.

À quoi bon?

À quoi bon lire? À quoi bon y revenir? À quoi bon y penser? À quoi bon l’écrire? À quoi bon continuer d’écrire? Pourquoi perpétrer ce geste s’il mène forcément à la perfection? Que pourra-t-on donc sortir de cette phrase parfaite, de ce texte insurpassable? À quoi bon s’escrimer à capturer la perfection? Je ne peux pas continuer d’écrire dans ces conditions.

La perfection m’ennuie. Comment pourrait-il en être autrement? À quoi bon être parfait? Et si je me rends compte, du moins partiellement, du chemin à parcourir entre mon écriture et la

perfection de cette écriture à quoi bon m’imposer cette pression effarante? À quoi bon me blesser mentalement? À quoi  bon entretenir cet idéal?

Et pourquoi?

Pourquoi devrais-je aspirer à la pureté? Sans aspérités, pourquoi? Pourquoi devrais-je atteindre cette béatitude du jour au lendemain? Qu’arrivera-t-il si je n’y arrive jamais? Aurai-je raté ma vie? Suis-je en train de la dépenser en vain en ce moment-même? Dès que je ne contribue pas à mon oeuvre, si je passe trop de temps sans écrire, je suis… quoi? Un traître

à mes propres yeux? Un lâche? Un raté? À mes yeux, mes propres yeux? Pourquoi cette dureté? Que diable me suis-je fait pour m’en vouloir à ce point? Et à quoi bon s’imposer ce stress au point où l’angoisse me saisit à l’idée d’écrire ne serait-ce qu’une ligne, de peur qu’elle ne soit pas exactement telle qu’elle devrait l’être? On ne s’arrête pourtant pas à la régularité des traits d’un visage – ce qu’on cherche, c’est le chaos,

dissimulé entre les lignes.

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